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9. Pronostic et marqueurs théranostiques du cancer

Chapitre 9. Pronostic et marqueurs théranostiques du cancer

Auteure : Emmanuelle Uro-Coste

 

Plan du chapitre

•   Pronostic global et schémas thérapeutiques

•   Thérapie ciblée et marqueurs théranostiques

•   Outils de la pathologie moléculaire

 

Objectifs

•   Connaitre les principaux éléments d'évaluation du pronostic d'un cancer : type histologique, grade histopronostique et stade d'extension de la tumeur.

•   Comprendre le principe général des thérapies ciblées et la notion de marqueur théranostique en cancérologie.

•   Connaitre les principales stratégies de ciblage thérapeutique : cibler les cellules tumorales, cibler le micro-environnement tumoral, restaurer l'immunité anti-tumorale.

•   Connaitre les principaux outils utilisés en anatomie pathologique et pathologie moléculaire pour identifier les cibles thérapeutiques.

 

Pronostic global et schémas thérapeutiques

Le diagnostic anatomopathologique d'une tumeur va déterminer son pronostic et le schéma thérapeutique pour le patient. Pour optimiser la prise en charge, ce diagnostic doit préciser le type histologique, le grade histopronostique, le stade d'extension et, dans certains cas, le statut de marqueurs pronostiques. Les marqueurs théranostiques, c'est-à-dire qui prédisent la réponse aux traitements, peuvent conditionner aussi le pronostic.

Type histologique, grade et stade

Chaque type histologique de cancer a une évolution et une sensibilité aux thérapies plus ou moins prévisibles. D'une manière globale, les carcinomes donnent en premier lieu des métastases ganglionnaires, ce qui va indiquer une chirurgie d'exérèse de la tumeur associée à un curage ganglionnaire loco-régional. Inversement les sarcomes donnent des métastases essentiellement par voie sanguine et le curage ganglionnaire ne sera pas indiqué. Pour essayer de traquer les cellules des sarcomes dans le flux sanguin, le traitement des sarcomes utilisera préférentiellement la chimiothérapie en pré et/ou en post opératoire. Puis dans chaque organe, les différents sous-types histologiques observés vont présenter des spécificités en terme de pronostic, de sensibilité à la chimiothérapie ou à la radiothérapie, etc. En tenant compte de ces spécificités, on adaptera la stratégie de prise en charge thérapeutique. Un exemple très parlant est celui des carcinomes broncho-pulmonaires. Les carcinomes neuroendocrines à petites cellules sont de très mauvais pronostic. La chirurgie n'améliore pas la survie et n'est donc pas indiquée. Une chimiothérapie permet d'améliorer la survie. En revanche, les carcinomes broncho-pulmonaires non à petites cellules, c'est-à-dire les adénocarcinomes et les carcinomes épidermoïdes, bénéficient d'une chirurgie d'exérèse. La chirurgie reste donc le traitement de première ligne si la tumeur est extirpable et n'a pas donné de métastases à distance. Ces carcinomes sont en revanche moins sensibles à la chimiothérapie que les carcinomes neuroendocrines à petites cellules, mais peuvent bénéficier de thérapies adjuvantes dont les thérapies ciblées (Figure 09.01).

Le grade histopronostique estime l'agressivité de la cellule tumorale. En général, plus la cellule tumorale est déviante par rapport à une cellule normale de l'organe d'origine, plus son comportement sera agressif (cf. chapitre 5). Les pathologistes continuent à optimiser les systèmes de grading pour qu'ils prédisent au plus près l'évolution de la maladie. Les outils immunohistochimiques peuvent ainsi contribuer à améliorer la précision et la reproductibilité de certains grades. Ainsi, le pourcentage de cellules tumorales positives avec l'anticorps anti-Ki67, qui marque les cellules engagées dans le cycle cellulaire, a été intégré récemment au grading des tumeurs neuroendocrines (Figure 09.02).

Le stade d'extension (TNM), le caractère résécable ou non de la tumeur, l'état clinique du patient (âge, co-morbidités, etc.) sont autant d'autres facteurs qui vont intervenir dans le pronostic.

Marqueurs pronostiques

L'immunohistochimie, l'hybridation in situ et/ou la biologie moléculaire, permettent de détecter des anomalies d'expression ou des altérations qui ont une valeur pronostique dans les cancers. Les exemples sont chaque jour plus nombreux :

•   exemple 1 : les neuroblastomes qui présentent une amplification du gène MYCN sont de mauvais pronostic et nécessitent des protocoles thérapeutiques intensifiés pour tenter de contrecarrer ce mauvais pronostic ;

•   exemple 2 : les carcinomes épidermoïdes oropharyngés associés à HPV sont de bon pronostic même à des stades avancés car très radio et chimio-sensibles. Ils peuvent rentrer dans des protocoles thérapeutiques où la chirurgie peut être évitée.

Marqueurs de sensibilité thérapeutique

La quantification des récepteurs hormonaux dans les noyaux des cellules tumorales de l'adénocarcinome du sein renseigne sur les effets potentiels d'un traitement anti-hormonal (Figure 09.03).

Les marqueurs qui indiquent ou contre-indiquent les thérapies ciblées sont traités dans le chapitre suivant.

Thérapie ciblée et marqueurs théranostiques

La thérapie ciblée inhibe spécifiquement la croissance de la cellule tumorale. Elle est différente de la radio-chimio-thérapie qui touche toutes les cellules, qu'elles soient tumorales ou saines. Elle nécessite une médecine de précision, qui permet de connaître le fonctionnement moléculaire des cellules tumorales, qui varie pour chaque type histologique de cancer, avec des variations au sein même de ce type histologique. Le concept est celui :

•   d'une cible (le plus souvent le récepteur membranaire d'un facteur de croissance),

•   une flèche pour l'atteindre (par exemple, un anticorps thérapeutique)

•   et un test préalable sur la tumeur (par immunohistochimie, FISH ou biologie moléculaire) pour vérifier que la cible est présente en quantité suffisante et/ou active, ou qu'il n'existe pas de résistance de la cellule tumorale à la thérapie. Ce test spécifique de chaque couple cible-flèche est appelé test compagnon ou marqueur théranostique. La stratégie de la thérapie ciblée est résumée dans la figure 09.04.

Cibler la cellule tumorale

Une cible en grande quantité

Dans les adénocarcinomes mammaires, les anticorps thérapeutiques anti récepteur HER2 (Trastuzumab, pertuzumab, TDM-1) ne sont efficaces que s'il existe une surexpression de la protéine HER2. Le test compagnon est une immunohistochimie (anti-HER2) complétée dans les cas douteux par une hybridation in situ (recherche d'une amplification du gène HER2 > 6 copies) (Figure 09.05).

Les lymphomes de Hodgkin exprimant CD30 peuvent bénéficier d'un traitement ciblé anti-CD30.

Une cible activée

Dans les adénocarcinomes broncho-pulmonaires, seules les tumeurs portant des mutations activatrices d'EGFR sont éligibles aux thérapies anti-EGFR. Le test compagnon est donc ici le séquençage du gène EGFR.

Des inhibiteurs thérapeutiques anti-NTRK, sont actifs contre les récepteurs NTRK1, 2 ou 3 activés par fusion génique. De telles altérations génétiques sont présentes dans 0,5 à 1 % des cancers fréquents, et beaucoup plus fréquentes dans certains cancers rares. Une présélection des patients peut se faire par immunohistochimie à la recherche de la surexpression des protéines TRK. Mais le test compagnon est la recherche de fusion génique, par hybridation in situ ou par séquençage des ARN (RNAseq).

Traquer les mutations de résistance sur la cible

Certaines cellules tumorales ont des mutations qui altèrent la région de la protéine ciblée par les anticorps (ab) ou inhibiteurs (ib) thérapeutiques. Malgré la présence de la cible, elles sont alors résistantes à la thérapie ciblée (Figure 09.06)

Mutations de résistance primaire

Certains adénocarcinomes broncho-pulmonaires portent une insertion au niveau de l'exon 20 d'EGFR, qui est responsable d'une résistance aux inhibiteurs EGFR spécifiques dits de 1re ou 2e génération. De nouveaux inhibiteurs sont développés afin de cibler spécifiquement ces altérations.

Mutations de résistance acquises (échappement thérapeutique)

Certaines cellules tumorales d'adénocarcinomes broncho-pulmonaires acquièrent une mutation de résistance EGFR T790M, et vont être sélectionnées positivement sous la pression du traitement anti EGFR. La tumeur échappe alors à la thérapie ciblée. Dans ce cas précis, des inhibiteurs de 3e génération ont été développés pour inhiber spécifiquement ces récepteurs à l'EGFR mutés T790M. Dès que les inhibiteurs de première génération deviennent moins efficaces, le patient est reprélevé pour rechercher cette mutation qui indique un passage à un inhibiteur de 3e génération.

Traquer la résistance intrinsèque à la thérapie ciblée

L'activation d'un récepteur tyrosine kinase (RTK) à la surface d'une cellule est relayée par des voies (ou cascades) de signalisation intracellulaire. Ces dernières années, beaucoup d'anticorps ou petites molécules inhibitrices se sont avérés très actifs sur une grande variété de cancers. Toutefois, dans certaines cellules tumorales, les voies de signalisation intracellulaire sont altérées et responsables d'une activation de la voie devenue indépendante du récepteur. Dans ce cas, les thérapies ciblées deviennent inactives et leur prescription est contre-indiquée. C'est le cas dans les cancers colorectaux, où la présence de mutations dans les gènes KRAS ou NRAS contre-indique l'utilisation d'anticorps ciblant la voie EGFR, car l'activation intrinsèque de la voie RAS rend le traitement inefficace. Le test compagnon pour la prescription des anti-EGFR dans le cancer du côlon est donc le séquençage de ces gènes à la recherche de mutations activatrices, et il doit être négatif pour permettre la thérapie ciblée anti-EGFR.

Bloquer la voie de secours d'une cible déjà altérée : la létalité synthétique

Des cellules tumorales ayant un déficit d'un système de réparation de l'ADN ont besoin pour survivre d'activer une voie de secours pour réparer leur ADN (il existe dans toutes les cellules plusieurs systèmes de réparation). L'inhibition spécifique de cette voie de secours amène à la mort cellulaire. Cette méthode de ciblage indirecte est appelée la létalité synthétique.

Dans une partie des cancers du sein et de l'ovaire, il existe des altérations de la réparation de l'ADN par recombinaison homologue, souvent en rapport avec une mutation des gènes BRCA1 ou BRCA2. Le test compagnon va rechercher une mutation de ces gènes de réparation. Si elle est présente, une thérapie ciblée pourra être proposée, utilisant un inhibiteur de PARP qui va bloquer la voie de secours de réparation de l'ADN.

Cibler le micro-environnement de la cellule tumorale

Une tumeur est composée par une prolifération de cellules tumorales, mais aussi par un stroma tumoral, apportant les nutriments nécessaires à la croissance tumorale via un nouveau réseau vasculaire modelé par les cellules cancéreuses à partir des vaisseaux existants. La croissance tumorale peut aussi être freinée en ciblant ce micro-environnement pour le rendre défavorable.

Le facteur de croissance VEGF est un élément pivot de la néovascularisation. Des thérapies par anticorps bloquants anti VEGF viennent perturber cette néovascularisation et freinent la croissance tumorale. Cette thérapie a fait preuve de son efficacité dans certains types tumoraux et souvent en association à d'autres thérapies.

Le stroma tumoral est aussi le lieu d'interaction avec le système immunitaire, souvent inhibé par la tumeur, et le paragraphe suivant va détailler comment la thérapie ciblée peut restaurer une réponse immunitaire anti-tumorale efficace.

Cibler le point de contrôle immunitaire PD1/PDL1 pour restaurer l'immunité anti-tumorale

La réponse immune spécifique est un mécanisme complexe de coopération cellulaire permettant des réponses explosives contre des cibles précises (cf. chapitre 5 et enseignement d'immunologie). Les « explosions » sont ensuite régulées par de puissants mécanismes agissant à des points de contrôle (check points) immunitaires. Les lymphocytes T retournent alors rapidement dans un état quiescent, après avoir été activés ; ce qui évite un emballement de la réponse immunitaire. Certaines cellules tumorales utilisent cette propriété pour pouvoir échapper au système immunitaire : elles se mettent à exprimer à leur surface des inhibiteurs de la réponse immunitaire comme la protéine PDL1. Elles inhibent ainsi de manière permanente les lymphocytes T cytotoxiques, participant à l'épuisement de l'immunité anti-tumorale (Figure 09.07). Des anticorps thérapeutiques anti-PDL1 peuvent restaurer une réponse immunitaire anti-tumorale efficace en empêchant cette inhibition du système immunitaire par les cellules tumorales. Des régressions tumorales spectaculaires et durables ont ainsi été observées chez certains patients cancéreux. Il faut bien noter qu'il s'agit d'une restauration de l'activité immunitaire anti-tumorale initiale. Si cette immunité initiale a été faible (tumeurs dites « froides »), sa restauration sera peu utile. En revanche, les tumeurs ayant suscité une forte réaction immunitaire (tumeurs dites « chaudes ») sont des bonnes candidates pour cette thérapie de restauration immunitaire. Les traitements par inhibiteurs des points de contrôle immunitaire (CPI/Check Point Inhibitors), tels les anti-PDL1 ou les anti-PD1, peuvent guérir certains patients métastatiques. Toutefois les CPI peuvent aussi être inefficaces ou délétères avec des toxicités majeures, et leur cout est élevé. Il est donc nécessaire de sélectionner les bons candidats en ciblant les tumeurs « chaudes » (notamment mélanomes, carcinomes urothéliaux et carcinomes broncho-pulmonaires non à petites cellules) et/ou en utilisant des tests compagnons (comme l'expression de PD-L1 en immunohistochimie dans les cancers du poumon).

Charge mutationnelle et néoantigènes

La charge mutationnelle d'une tumeur est le nombre de mutations somatiques par million de paires de base nucléotidiques. Elle permet d'estimer la quantité de néo-antigènes exprimés par la tumeur. Ces néo-antigènes correspondent à des protéines modifiées par des mutations de leurs gènes. Le plus souvent non reconnues comme protéines du soi, elles ont un fort potentiel immunogène. Plus l'ADN tumoral est muté, plus la réponse immunitaire anti tumorale sera forte et efficace. Les tumeurs associées au tabagisme comme les carcinomes broncho-pulmonaires et les carcinomes urothéliaux ont une charge mutationnelle constamment élevée. Il en est de même pour les mélanomes en raison des multiples coupures de l'ADN provoquées par les UV. Les anomalies de réparation de l'ADN, qu'elles soient génétiques lors de syndromes de prédisposition génétique au cancer (comme le syndrome de Lynch) ou acquises par le génome tumoral, entraînent également des charges mutationnelles très élevées. Ces tumeurs produisant de nombreux néo-antigènes immunogènes sont considérées comme des tumeurs « chaudes ». En pratique la détection d'une instabilité génétique dans la tumeur, telle la perte de l'expression d'une des protéines de réparation des mésappariements PMS2 ou MSH6 est associée à des taux importants de réponse aux CPI, quel que soit le type tumoral. Par ailleurs, dans le cadre d'essais cliniques, les tumeurs à très forte charge mutationnelle (détectée par séquençage massif) peuvent également bénéficier de cette thérapie.

Quantification de l'expression de PDL1

Le test compagnon peut dans certaines indications être la détection immunohistochimique de l'expression de PDL1 par les cellules tumorales. Les seuils de positivité varient selon la thérapie ciblée utilisée, entre 1 et 50 % des cellules tumorales. Dans d'autres indications, le test intègre plus de paramètres en particulier l'expression de PDL1 dans les cellules inflammatoires intra-tumorales. Un score combine alors cette expression avec celle détectée sur les cellules tumorales.

Quantification de l'infiltrat lymphocytaire de la tumeur

Un autre test compagnon actuellement à l'étude est la quantification de l'infiltrat lymphocytaire, afin de discerner des tumeurs « chaudes » (riches en lymphocytes) qui seraient bonnes répondeuses, des « froides » qui seraient résistantes à ce traitement de restauration de la réponse immune de l'hôte.

Des molécules ciblant d'autres check points immunitaires que le couple PD1/PDL1 sont développées et parfois déjà utilisées, par exemple les anti-CTLA4. Il existe d'autres immunothérapies qui sortent du champ des thérapies ciblées traitées dans ce chapitre, dont l'administration d'IL2 ou d'interféron ou l'injection de lymphocytes T à récepteur antigénique chimérique (CAR-T cells) dirigés contre la tumeur.

Outils de la pathologie moléculaire

La pathologie moléculaire utilise de nombreux outils conventionnels de biologie moléculaire afin d'identifier des anomalies génétiques au sein des tumeurs. En plus des techniques traditionnelles et ciblées (séquençage de première génération de type Sanger, qPCR, HRM, analyse de fragments…) et des techniques de biologie moléculaire in situ évoquées précédemment (cf. chapitre 1), on peut évoquer ici la place croissante que prend maintenant le séquençage de nouvelle génération (NGS, ou séquençage de 2e génération) en pathologie tumorale et particulièrement pour la recherche de cibles thérapeutiques.

Séquençage massif et parallèle, ou séquençage de nouvelle génération (NGS)

Le NGS permet de séquencer en quelques heures à quelques jours, de façon simultanée, plusieurs gènes d'intérêt, voire l'exome ou même tout un génome tumoral. Ce séquençage NGS est aussi quantitatif : des gains ou des pertes peuvent être diagnostiqués, à l'échelle chromosomique comme à l'échelle de courtes séquences intra-géniques. Les ARN messagers, transformés en ADNc par une rétro-transcriptase, peuvent également être séquencés et quantifiés (RNA sequencing ou RNAseq). Des logiciels d'analyse bio-informatique permettent alors :

•   d'identifier le nombre de séquences obtenues pour un gène ou un panel de gènes et calculer leur niveau d'expression ;

•   de détecter des séquences hybrides entre deux gènes, ce qui permet de mettre en évidence les fusions géniques oncogènes.

Bien que très récent, le NGS est d'ores et déjà très utilisé en pathologie moléculaire pour la détection des altérations somatiques du génome des tumeurs.

En 2021, les analyses NGS des tumeurs sont généralement réalisées en ciblant quelques gènes (10 à 500), pour rechercher les cibles thérapeutiques, notamment dans les carcinomes métastatiques coliques, thyroïdiens résistants aux traitements ou pulmonaires, ou les mélanomes.

N.B. : L'étude moléculaire ne remplace pas l'examen microscopique qui permet d'évaluer la morphologie et la topographie de la tumeur : situation des cellules les unes par rapport aux autres et par rapport aux structures anatomiques (vaisseaux, nerfs, membranes basales, parois anatomiques, etc.), évaluation du micro-environnement, etc. La présence d'une mutation ou d'une amplification génique n'est pas forcémment spécifique du caractère malin ou infiltrant d'une tumeur. Ces anomalies peuvent apparaître pendant la phase précancéreuse. De plus, certaines altérations moléculaires peuvent être observées dans des types tumoraux variés. Par exemple, la mutation BRAFV600E s'observe dans une dizaine de types tumoraux allant du mélanome jusqu'au carcinome pulmonaire, en passant par le naevus ou le gangliogliome.

Étapes du NGS ciblé

Les étapes de ce NGS sont synthétisées dans la (figure 09.08). La zone tumorale est cerclée par le pathologiste, sur une lame colorée. L'ADN de cette zone est extrait puis fragmenté autour de 100 à 200 paires de base. Des amorces sont ensuite ajoutées à chaque extrémité des fragments, pour pouvoir les manipuler (les amplifier, les séquencer, etc.). La « librairie » ainsi obtenue est enrichie en séquences cibles, par capture avec des sondes spécifiques des gènes d'intérêt ou par amplification PCR avec des amorces spécifiques des gènes d'intérêt. Elle est ensuite soumise à un séquençage massif. Des logiciels bio-informatiques vont comparer les centaines de milliers de séquences obtenues avec la séquence de référence du génome humain. Les anomalies retrouvées sont interprétées et rapportées par le biologiste ou le pathologiste.

Immunohistochimie, un outil de biologie moléculaire

Toutes les anomalies oncogéniques de l'ADN ont des conséquences au niveau protéique. L'examen immunohistochimique peut donc parfois remplacer le séquençage ou permettre de screener une sous-population de tumeurs susceptibles de présenter l'altération moléculaire. Ceci permet de ne pas épuiser le bloc d'inclusion en paraffine pour des études moléculaires inutiles. En effet une extraction d'ADN équivaut à environ cinq lames d'histologie. Deux types d'anticorps sont utilisés.

Utilisation d'anticorps spécifiques de la substitution d'un acide aminé provoqué par une mutation de l'ADN

Les mutations activatrices se situent pour la majorité des oncogènes sur la même partie de la séquence de leur ADN, qui correspond en général à un codon. On parle d'un hotspot mutationnel. Le changement d'une base dans le codon va entraîner un changement d'acide aminé, qui pourra être détecté par un anticorps spécifique de cet épitope modifié.

L'anticorps anti-BRAFV600E ne reconnaît pas la protéine BRAF sauvage (non mutée), il ne réagit que si la protéine BRAF résulte d'une mutation de l'ADN qui a modifié le code génétique de la protéine et a remplacé la valine qui était en 600e position par un acide glutamique. Une réaction positive avec cet anticorps est suffisante pour affirmer l'altération moléculaire, ce qui évite d'avoir à réaliser un séquençage de BRAF (Figure 09.09).

Selon le même principe, l'anticorps anti-IDH1R132H est utilisé pour le diagnostic des gliomes diffus et le pronostic des glioblastomes. Quand une tumeur est positive, le séquençage est aussi évité. En revanche, si la réaction est négative, on effectuera un séquençage pour rechercher des mutations minoritaires sur le codon 132.

Utilisation d'anticorps contre un épitope de la protéine sauvage

Ces anticorps vont détecter des protéines en quantité anormale (surexprimées ou absentes) ou dans une localisation subcellulaire ou tissulaire inhabituelle.

Augmentation de la quantité de protéine

Cette augmentation survient par :

•   amplification du gène. Exemple : Amplification du gène MDM2 dans les liposarcomes conduisant à une surexpression de la protéine MDM2 (Figure 09.10) ;

•   fusion génique avec promoteur fort. Exemple : Les lymphomes du manteau ont une positivité avec l'anti-cycline D1 suite à la translocation t(11 ;14) (Figure 09.11) ;

•   absence de dégradation de la protéine. La protéine modifiée (mutée ou chimère suite à une fusion) n'est plus reconnue par le système de dégradation. Elle va donc s'accumuler. Exemple : Mutations de TP53 avec accumulation de la protéine p53 dans les noyaux.

Protéine dans une localisation subcellulaire ou tissulaire inhabituelle

La localisation subcellulaire ou tissulaire inhabituelle s'explique par :

•   absence de reconnaissance par le système de transport intracellulaire +/– système de dégradation. Exemple : La βcatenine mutée s'accumule dans les noyaux tumoraux, alors qu'il s'agit d'une protéine habituellement cytoplasmique et membranaire (Figure 09.12) ;

•   fusion génique avec un promoteur à spécificité d'expression différente. Exemple : Le gène de la protéine NUT(NUclear in Testis) dépend d'un promoteur spécifique du testicule. Lors de la fusion oncogénique BRD4-NUT, on retrouve une positivité avec l'anti-NUT dans des carcinomes de localisations variées (Figure 09.13) ;

•   création de protéines chimères suite à une fusion génique et responsable d'une localisation dans un compartiment subcellulaire inhabituel pour l'une et/ou l'autre des deux protéines impliquées. Exemple : La protéine STAT6 est nucléaire au lieu d'être cytoplasmique dans les tumeurs fibreuses solitaires avec fusion génique STAT6.

Absence de la protéine

Absence par :

•   dégradation totale de la protéine mutée, reconnue comme anormale par le système de dégradation. Exemple : 80 % des mutations d'ATRX entraînent une perte totale d'expression dans les astrocytomes infiltrants (Figure 09.14) ;

•   inactivation des deux copies du gène (délétion homozygote, méthylation, etc.) entraînant une absence de production de protéines. Exemple : Perte d'expression des protéines de réparation de l'ADN, MLH1, MSH2, MSH6 ou PMS2 qui permet de détecter les cancers du côlon susceptibles de survenir dans le syndrome de Lynch (Figure 09.15).

La cause de ces altérations immunohistochimiques ne correspond pas toujours à un mécanisme moléculaire unique. Dans ce cas l'examen immunohistochimique peut servir de screening puis est complété par un test moléculaire en séquençage ou en hybridation in situ. Cette démarche permet d'économiser les biopsies de petite taille pour parvenir par étapes successives à réaliser tous les tests nécessaires.

Analyse d'image automatisée ou pathologie numérique, un outil de médecine de précision

Approche analytique de l'image. Segmentation et reconnaissance d'éléments connus du pathologiste

Les logiciels d'analyse d'image utilisent une programmation mathématique pour reconnaître les cellules, les noyaux, la membrane basale, etc. Ils permettent par exemple de compter les cellules positives avec un marqueur immunohistochimique. C'est un gain de temps pour le pathologiste, mais surtout, la puissance de calcul permet de changer d'échelle. Ce sont des millions de cellules qui peuvent être comptées avec de multiples critères. C'est au pathologiste ou au chercheur de s'intéresser à un critère plutôt qu'à un autre pour répondre à une question précise. Par exemple, des techniques de quantifications et localisations automatisées de l'infiltration lymphoïde dans les carcinomes coliques localisés, ont une valeur pronostique plus importante que beaucoup de paramètres « historiques ».

La pathologie numérique comme outil prédictif des anomalies moléculaires

Les altérations de l'ADN des cellules tumorales peuvent induire des variations morphologiques (phénotypiques) plus ou moins spécifiques. Les interactions entre cellules tumorales ou avec les cellules du micro-environnement (fibroblastes, vaisseaux, histiocytes, lymphocytes, etc.) sont également modifiées. L'image morphologique sur la lame d'histologie résume toutes les altérations moléculaires et toutes les interactions cellulaires ou anatomiques. Certaines altérations de l'ADN peuvent d'ailleurs être prédites par l'aspect morphologique de la tumeur (relation génotype/phénotype). Par exemple, les mutations d'EGFR dans les adénocarcinomes bronchiques sont significativement associées à des cellules tumorales en clous de tapissier et à une architecture micro-papillaire. Des logiciels de traitement d'images permettent une détection et une quantification de ces modifications et ainsi de préciser le diagnostic. Ils utilisent soit la programmation analytique soit l'intelligence artificielle (IA). Notons que les scanners de lames permettent d'obtenir facilement des lames numérisées pour ces logiciels. Ces applications restent encore très largement dans le domaine de la recherche.